Friday, March 20, 2009

Lascaux, grotte en péril : on est en limite de méthode, confronté au maximum de nos savoir-faire.


"Sauver la face ou sauver Lascaux". En clair, "cessez de dire que tout va bien à Lascaux. Depuis l'an 2000, l'administration a fait la politique de l'autruche et du déni public".

L'enjeu est de taille, il s'agit de la préservation d'un trésor de l'humanité, l'ensemble des grottes ornées de la vallée de la Vézère, en Dordogne. Leur décor pariétal impressionna tant Georges Bataille, que l'écrivain en parlait, en 1955, comme de la "naissance de l'art". Selon le préhistorien Jean Clottes, qui a présidé le symposium international "Lascaux et la conservation en milieu souterrain", organisé à l'initiative de la ministre de la culture Christine Albanel, les jeudi 26 et vendredi 27 février à Paris, "un ou plusieurs grands artistes, des Michel-Ange, auraient travaillé il y a 17 000 ans, voire 20 000 ans, dans cette grotte spectaculaire". "C'est plein de vie, dit-il, les animaux, aurochs (boeufs sauvages), chevaux, cerfs sautent, bondissent, tombent à la renverse, se croisent, traversent une rivière, la tête haute."

Le rapport de l'ICPL pointe l'altération du décor pariétal aux prises avec une prolifération de bactéries sur les parois de la grotte, qui s'aggrave faute d'une méthode scientifique rigoureuse. Une situation nourrie par la "rivalité sourde entre l'administration des monuments historiques et les archéologues qui se disputent la gestion de ce joyau" (Le Monde, du 27 novembre 2007). Le cri d'alarme de Mme Leauté-Beasley a enclenché un compte à rebours. La France est sommée par l'Unesco de redresser la barre d'ici à l'été prochain, sous peine de voir inscrit Lascaux sur la liste du Patrimoine mondial en péril "en l'absence de progrès substantiels dans l'identification des causes et du traitement des peintures".

Il était temps de briser l'omerta sur la réalité des risques encourus par le site. "Depuis neuf ans, on patauge", se désole Pierre Vidal, ingénieur au CNRS, spécialiste de l'art rupestre, qui a assuré, de 1957 à 1996, le suivi scientifique de la grotte. A 73 ans, celui qui se dit "la mémoire de Lascaux", regrette "les interventions au jour le jour, sans actions coordonnées, et parle de bricolage. L'équilibre climatique a été rompu, on a oublié tous les protocoles, on s'est coupé de tout ce qui a été fait jusqu'en 2000. Pendant trente ans, la grotte n'avait pas bougé".

Que s'est-il passé ? Il semble que le manque de précautions sanitaires, en 1999 et 2000, durant les travaux liés à l'installation de la nouvelle machine de conditionnement d'air, et que le bouleversement climatique engendré par ladite machine "trop puissante et mal adaptée" aient provoqué une "détérioration dramatique de l'équilibre biologique de la grotte", précise Paul-Marie Guyon, physicien à la retraite, qui avait mis au point la précédente machine, "une petite assistance climatique" qui avait fait ses preuves.

D'où l'invasion d'une colonie de champignons blancs déclenchée en 2000. Le traitement radical appliqué, avec de la chaux déversée sur le sol, n'aurait pas été sans conséquences sur cet organisme vivant ultra-fragile qu'est une grotte. Comme l'éclairage intensif des parois pour la réalisation d'un état des lieux en 3D. Des centaines d'heures de projecteurs braqués sur les parois, sans se conformer au contrôle sévère de la lumière. Lequel, selon le cahier des charges, était limité à trente-cinq minutes par jour, cinq jours par semaine, depuis la réouverture de la grotte au public en 1976 - la grotte fut fermée par Malraux en 1963 suite à l'apparition d'algues vertes : elle accueillait jusqu'à 1 800 visiteurs par jour. Dès 2004, apparurent des taches noires sur les parois, de la mélanine provoquée par la lumière et dont on ne parvient pas à arrêter la progression, malgré les traitements successifs.

Lors d'un compte rendu, en avril 2008, Marc Gauthier, président du comité scientifique de la grotte de Lascaux, mis en place en 2002, déclarait pourtant : "La malade est en convalescence, elle est presque guérie." A cette occasion, était dévoilé le Targol Oxyt, un Dévor'Mousse en formule concentrée, sorte de produit miracle censé venir à bout des taches noires. "On ne traite pas Lascaux comme un carré de salades", s'offusque Jean-Philippe Rigaud, conservateur de la grotte de 1977 à 1992. Lequel espère que le colloque organisé les 26 et 27 février remette les scientifiques sur le devant de la scène.

"On est à la huitième année de la crise, la grotte ne fonctionne plus comme par le passé du fait d'un réchauffement du sol, indique, Jean-Michel Geneste, chargé du suivi et de la coordination scientifique de Lascaux. Je reconnais que je n'aurai pas dû accepter la machine livrée, non conforme à la commande. Les travaux ont été le facteur déclenchant. Trop longs. Dans l'urgence, on a essayé de faire au mieux. On est en limite de méthode, confronté au maximum de nos savoir-faire. De même, qu'on ne s'est pas rendu compte que la grotte avait changé de régime climatique."

A l'ouverture du symposium, Christine Albanel, qui veut la transparence, a annoncé la création d'un nouveau comité scientifique pluridisciplinaire, ouvert aux sciences dures, et autonome face à l'administration. "Il faut confronter les propositions, les perspectives. Des erreurs ont sans doute été commises à cause de la complexité du site", dit-on au ministère de la culture. De son côté, Michel Goldberg, biochimiste, ancien directeur scientifique de l'Institut Pasteur a pris l'initiative de réunir au sein d'un comité de réflexion, le Lascaux International Scientific Think Tank (LIST), les meilleurs spécialistes en microbiologie, chimie, hydrogéologie, climatologie, biotechnologie..., jusqu'à Antoine Danchin, expert en génomique bactérienne. Sauver Lascaux est l'affaire de tous. Le temps presse.